STATUT DES FILLES EN INDE
De l’Inde, on connaît son passé culturel éblouissant, ses traditions spirituelles intenses, son dynamisme démographique (plus d’un milliard d’habitants), son économie performante… Mais derrière cette façade flamboyante se cache un pays majoritairement rural et pauvre, avec 40% d’illettrés, où des millions de femmes sont soumises à des conventions sociales très strictes.
Les filles vont peu à l’école et en sortent très vite. Elles sont contraintes à des mariages arrangés et à des grossesses précoces, dangereuses d’un point de vue sanitaire. Elles vivent soumises à leur mari et à leur belle-famille.
LES FEMMES EN VOIE DE DISPARITION
Qu’elles soient menacées ou pas, les femmes éprouvent de la honte à donner naissance à une fille. Régulièrement, les journaux indiens relatent le cas de jeunes accouchées qui, craignant tant de rentrer chez elles avec une fille, s’enfuient en laissant leur bébé et en kidnappant un garçon dans le berceau voisin.
La politique de contrôle des naissances dans les années 80 a sérieusement accéléré le phénomène de l’élimination des filles. Pour freiner la croissance démographique, le gouvernement indien a fait passer le message d’un modèle familial de deux enfants, un garçon et une fille. Mais cette maîtrise accrue de la maternité a eu pour effet pervers de renforcer la sélection prénatale.
METTRE AU MONDE UN FILS À TOUT PRIX
En Inde, les fils constituent la seule assurance des parents sur l’avenir. C’est lui qui reprendra la maison et la terre, lui qui prendra soin d’eux dans leurs vieux jours.
Pour cela, le fils doit être choyé, nourri et éduqué. Les traditions spirituelles jouent également un rôle, car dans la religion hindoue, seul le fils a le droit de procéder aux rituels de la crémation du père, comme l’embrasement du bûcher funéraire. S’il n’y pas de fils, le voyage de l’âme du défunt s’en trouvera affecté. La venue au monde d’un garçon est aussi une fierté sociale : le nom du père aura l’honneur d’être transmis aux générations futures.
À l’inverse, la venue au monde d’une fille n’apporte rien à sa famille et en grandissant, elle peut même un jour amener le déshonneur sur la maison avec une agression sexuelle ou un flirt non autorisé.
On leur inculque des valeurs de timidité, de soumission, de manque d’estime de soi. Elles doivent se taire, baisser les yeux, ne pas protester tandis que les garçons sont élevés pour avoir confiance en eux, être extravertis, voire agressifs.
Dans les milieux traditionnels, le plus souvent ruraux, une indienne ne peut espérer acquérir un peu de respect familial et une bonne réputation sociale que si elle met au monde un fils.
La plupart du temps et surtout dans les régions rurales aux valeurs très patriarcales, les filles sont considérées comme des êtres sans valeur et sont élevées dans cette culture d’infériorité.
LA DOT… VÉRITABLE POUSSE-AU-CRIME
En Inde, ce désamour des filles repose aussi sur des raisons matérielles. Quelle que soit la classe sociale de la famille, en ville comme à la campagne, la naissance d’une fille est avant tout une mauvaise nouvelle financière.
Pour la marier, ses parents devront dépenser des sommes pouvant engloutir les économies de toute une vie. La hausse du niveau de vie et l’inflation ont considérablement accru le coût de la dot, au point d’en faire la raison essentielle de l’élimination des filles. Après le mariage, la belle-famille peut réclamer encore plus de d’argent.
Chaque jour, des femmes meurent brûlées vives, le sari arrosé d’essence par leur mari, empoisonnées ou poussées au suicide. À Bangalore – la Silicon Valley indienne – environ 100 femmes meurent chaque mois en raison de cette cupidité – environ 70 % d’entre elles sont brûlées vives, les autres sont retrouvées pendues, empoisonnées avec des pesticides ou noyées.
En Inde – comme au Pakistan et au Bangladesh – la dot est l’une des causes principales des violences faites aux femmes. Une dot insuffisante peut valoir à l’épouse d’être harcelée, battue, violée ou défigurée par un jet de vitriol. Bien qu’interdite depuis 1961, la dot reste en Inde une coutume observée à très grande échelle.
Les parents paient souvent pour leur tranquillité car sinon, le risque est grand que la jeune fille soit tuée pour permettre à la belle-famille de conclure un nouveau mariage et toucher une nouvelle dot.
DE L’ÉCHOGRAPHIE À L’INFANTICIDE
Avec l’arrivée de l’échographie dans les années 80, l’avortement sélectif est devenu le moyen le plus utilisé pour empêcher la naissance d’une fille.
Malgré l’interdiction légale, on dénombre 600 000 avortements par an au motif que le foetus est une fille. Et on pense que ces chiffres sont sous-estimés. Les cliniques privées, proposant des forfaits “Échographie + avortement” entre 100 et 200 €, se multiplient. Il y a même des radiologues qui sillonnent les campagnes à bord de camionnettes équipées.
D’autres moyens persistent aussi : l’infanticide par noyade, étouffement, empoisonnement. C’est parfois même la sage-femme qui se charge de tuer la petite fille à la naissance. À chaque fois, parents et sage-femme déclarent un enfant mort-né ; les poursuites sont très rares.
L’infanticide “lent” est aussi fréquent et plus difficile à détecter que le meurtre post-natal : absence de vaccination et de soins médicaux, négligence, sous-alimentation… Sans oublier que la naissance d’une fille peut être passée sous silence. Bien des fillettes naissent et meurent sans jamais avoir officiellement existé.
Enfin, on retrouve un nombre incalculable d’enfants abandonnés dans les buissons, dans les rues, dans les gares… La majorité des enfants recueillis dans les orphelinats sont des filles.
LES CONSÉQUENCES DU MANQUE DE FEMMES
Selon les estimations les plus modérées, il y aura 28 millions d’hommes célibataires en Inde d’ici 2020. Des études ont montré que les jeunes hommes issus des classes socio-économiques inférieures et ceux qui ont peu de chance de pouvoir fonder leur propre famille sont plus enclins que les autres à améliorer leur situation par la violence.
Depuis quelques années, l’Inde connaît une augmentation du harcèlement sexuel et des viols, notamment des viols collectifs. La prostitution connaît aussi un développement spectaculaire.
Une autre conséquence de ce manque de femmes est la réapparition de la polyandrie : mariage d’une femme avec plusieurs frères de la même fratrie. Ce ménage multiple s’accompagne bien souvent de violences à l’égard de l’épouse.
L’enjeu essentiel demeure le changement de statut des femmes. Cela doit passer par une évolution de l’opinion sur les filles et une lutte contre la tyrannie de la dot. Il faut donner aux femmes les clefs de leur émancipation que sont l’égalité et l’autonomie sociales.
Article paru dans le journal « Clara Magazine », numéro de Janvier 2009.